Mêlant avec talent les codes passés et présents du rap, l’autodidacte de 23 ans à la carrière déjà remplie se raconte pour la première fois dans la presse à l’occasion de la sortie de son nouvel EP, «1er Mouvement». C’est une tendance désormais bien ancrée, une stratégie souvent, la résultante d’une peur aussi parfois : celle qu’ont les rappeurs et rappeuses à ne pas donner d’interview et à envoyer leur musique, unique émissaire, parler à leur place. Mais si la parole de H JeuneCrack est rare au point de ne pas exister, c’est pour de tout autres raisons : «Je trouve que les bonnes interviews sont celles d’artistes qui ont de l’expérience, des choses à raconter et pas seulement un truc à vendre, explique-t-il posé à la terrasse d’un café parisien. En trois années, j’ai sorti plusieurs EP, une trilogie, j’ai fait une tournée… Je crois que c’est le bon moment.» Après un an de douces négociations par intermédiaire, c’est la première fois qu’il confie sa parole à un journaliste, sans aucune condition, et tout de suite les a priori dus à sa discrétion dégagent : il n’est ni timide, ni particulièrement pudique, ni méfiant, et certainement pas impressionné. C’est un type de 23 ans à la carrière déjà rondement menée, capable de retourner les grandes salles de la capitale et certains gros festivals qui en ont pourtant vu d’autres. «J’ai plein de choses à raconter», prévient-il, rieur. Il publie un nouvel EP de huit titres, 1er Mouvement, début d’une seconde trilogie discographique. Il y apparaît dans ses plus beaux apparats musicaux, la patte sonore posée très exactement entre les codes rap de sa génération – que beaucoup appellent maladroitement la «new gen» – et une pratique largement empruntée aux modes de production en vigueur dès les années 1990, le sampling, l’échantillonnage, en tête. Il connaît ses classiques, a appris le rap, sa pratique, son histoire sur le tas, à Albi, sans l’aide de grand-monde. «Il n’y avait pas vraiment d’exemple dans notre ville, on ne savait pas comment faire. On improvisait. L’achat du premier micro, de la première carte-son, j’étais en seconde, j’avais 14 ans.» Et donc un an d’avance dans sa scolarité. Cette capacité à comprendre seul l’a amené à se passionner pour les ordinateurs, à sans cesse combler, par l’informatique ou la logique, les vides techniques et musicaux de son environnement. Il rappe mais personne ne sait composer de musique autour de lui ? Il sera aussi producteur. Il ne sait pas jouer d’instrument mélodique ? Il samplera la musique des autres. H JeuneCrack, respecté dans son parcours et dans le son qu’il répand, s’apparente un peu à une histoire accélérée du rap français, une synthèse singulière qui rassemble des chapelles souvent irréconciliables. «Vibrer» Son côté geek, débrouillard et mystérieux lui donne de faux airs de solitaire. Pourtant, en débarquant à Paris, où il ne compte d’ailleurs pas faire «de vieux os», il a vite connecté avec des pairs, notamment l’équipe du label Don Dada, réunissant des sommités tels que le rappeur Alpha Wann ou le beatmaker Hologram Lo’. Le second est un collaborateur régulier, un ami. Ils partagent une forme d’exigence et d’éthique artistique qui le poussent à travailler, à se perfectionner, à apprendre rigoureusement. Un exemple : «Je posais mal ma voix au début. Lors de mon premier concert, je l’ai perdue au bout de trois morceaux. Extinction totale. J’ai crié comme je pouvais, j’ai sauté dans tous les sens, et ça l’a fait. Mais j’ai dû prendre des cours de chant pour comprendre comment l’utiliser, comment elle fonctionnait. En fait, j’ai une légère malformation : il y a trop d’air qui passe entre mes cordes vocales, ça peut vite m’irriter. Il a fallu apprendre à gérer cela. J’ai également compris qu’il ne fallait pas chercher à remplir tous les espaces d’un morceau, d’une instru. Il faut laisser respirer la prod.» Son dernier single, Hustleuse, sûrement l’un des plus beaux textes à son actif, en est une parfaite conséquence. H JeuneCrack avance donc méthodiquement, pas à pas. «Mon but premier est de vivre le plus longtemps possible de ma musique. Tant que je crée, je suis heureux. La viralité ne m’intéresse pas. Une part de moi a envie d’être tout de suite célèbre afin de répondre à un besoin primaire de reconnaissance, pour gonfler mon ego. Mais j’essaie de m’en détacher. Dès que tu l’as reçue, ressentie, c’est déjà parti. Pour devenir un meilleur humain, c’est totalement inutile. Si demain la musique s’arrête pour moi, ça me rassure de savoir que je continue de vivre et d’apprendre.» Il a un DUT Informatique en poche. «J’ai aussi bossé comme animateur avec des enfants, je kiffe le foot… Je pourrais tout à fait devenir éducateur sportif. J’aurais adoré travailler à la radio, avoir un podcast ou simplement passer du son. Je ne peux pas m’accrocher complètement au rap. Mais il se trouve qu’actuellement, c’est ce qui me fait le plus vibrer.» Il aimerait un jour, humblement, permettre aux jeunes de Toulouse ou d’Albi de bénéficier des conseils et de structures dont il a manqué durant son adolescence, accumuler de l’expérience et la partager aux siens. «Des blocs qui s’imbriquent» Il est toujours en état de création, produit ou écrit quotidiennement, il n’a aucun mal à détailler le processus mental qui le pousse à créer. «Le rap, chez moi, ce sont des blocs qui s’imbriquent. Idem pour la production. Ils s’enlèvent, se rajoutent… Je peux commencer à composer une instru comme si je traçais un trait. La vision n’est pas toujours aboutie, mais j’essaie sans cesse de capter le moment présent parce qu’il est unique par définition.» H JeuneCrack en tire de la sacrée bonne musique, toujours au moins curieuse et intéressante, débordante d’idées et d’influences qui devraient retentir durant sa tournée à venir. Et malgré son style parfois nonchalant, il chérit intensément la communion. «Je ne cherche pas à fuir quoi que ce soit par la création. Je la vois plutôt comme un cercle vertueux, éminemment positif, un bon moment passé avec les potes. Je crois que c’est comme ça que la vie brille le plus, que la mienne, en tout cas, est la plus solaire.» 1er Mouvement, H JeuneCrack. En tournée à partir du 28 février dans toute la France et en Belgique.